Ari Lee, entre identité et vocation

Ari Lee / © Iara Vega Linhares
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Ari Lee
© Iara Vega Linhares

Ari Lee, entre identité et vocation

Puzzle
Juive, intersexe, queer, future pasteure réformée : le parcours d’Ari Lee est celui d’une femme en quête d’unité et de sens. Sa vie est marquée par les fractures identitaires, la résilience et la foi.

Ari Lee nous reçoit dans son appartement biennois, un trois-pièces sans salon ni salle à manger qu’elle partage avec ses deux enfants. Un chat aux longs poils, Newt, déambule librement. «Comme Newton, mais en moins intelligent», plaisante-t-elle. Son espace est envahi de livres. Certains sont stockés à Bâle, où elle passe la moitié de la semaine en stage pastoral. Elle sera consacrée pasteure réformée en août prochain. Une consécration teintée d’un sourire qui s’efface vite: depuis l’attentat du 7 octobre 2023 en Israël, Ari Lee rit moins. 

Dans sa chambre, l’étoile de David côtoie la main de Fatma, qu’elle nomme «Khamsa». Son identité est un puzzle impossible à cerner d’un seul regard. Née en Allemagne, elle revendique des racines juives slovaques et nord-africaines du côté de sa mère, et noires et amérindiennes du côté de son père, un soldat américain, qui a disparu de sa vie alors qu’elle avait 5 ans. Elle a grandi auprès de ses grands-parents, ballottée entre identités multiples et injonctions contradictoires. «On me disait allemande, mais je n’étais pas blonde aux yeux bleus. Trop blanche pour être noire, trop foncée pour être allemande. Où est ma place?» 

Ari Lee a grandi dans l’hostilité. Coups, insultes racistes. Puis la quête d’ancrage: un arbre généalogique, des tests ADN, des voyages en Israël et aux Etats-Unis, une recherche de communauté. «J’ai trouvé un accueil dans le judaïsme, en Israël, dans certains réseaux américains. Mais ici, c’est plus complexe.» 

Le rejet, elle l’a aussi vécu en tant que personne intersexe (c’est-à-dire ayant des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux définitions classiques de la masculinité ou de la féminité). Un diagnostic posé tardivement, après la naissance de ses enfants. Un médecin évoquait alors la nécessité de la «normaliser». Plus tard, sa transition – prise de testostérone et mastectomie – ne relevait pas de cette recommandation médicale, mais d’un cheminement personnel face à une féminité qu’elle rejetait, influencée par les violences subies et un cadre religieux oppressant. Ce n’est qu’après un travail de guérison et une redécouverte de ses racines culturelles qu’elle a pu assumer pleinement son identité de femme sans renier son passé. 

Ari Lee encourage les jeunes personnes trans (c’est-à-dire dont l’expression ou l’identité de genre s’éloigne du sexe assigné à la naissance) à explorer leur identité sans précipitation et dénonce la pression sociale qu’elles endurent. Elle rappelle la solitude de ces parcours et insiste sur l’importance d’une écoute bienveillante. Distinguant les expériences trans et intersexes, elle condamne les mutilations subies par les personnes intersexes et leur adresse un message d’acceptation: «Vous êtes merveilleux tels que vous êtes!» 

Adolescente, elle a souffert du carcan d’un christianisme fondamentaliste, où les femmes sont réduites à la maternité et à l’obéissance. Elle fuit, trouve une spiritualité plus ouverte dans le judaïsme, puis dans l’Eglise réformée. «Quand je suis arrivée dans la paroisse de Bienne, j’ai demandé: ‹Je suis intersexe, je suis trans, ça pose un problème?› Ils m’ont répondu: ‹Bienvenue.›»

Je n’ai plus besoin de me conformer à un rôle

Symbole de résilience

Après le 7 octobre 2023, son monde se fissure. L’antisémitisme, les tensions dans la communauté queer. Des ruptures, une dépression. «Voir ces images, c’était revivre mes propres traumatismes.» Mais Ari Lee se relève. Un phénix tatoué sur la peau, symbole de sa résilience, elle se prépare à devenir pasteure. «L’Eglise a tant à offrir. Il faut juste oser.» 

Au-delà de sa mission pastorale, elle s’interroge sur la manière dont les Eglises peuvent mieux intégrer les personnes queer. «Il faut repenser l’accompagnement spirituel. Trop de personnes sont rejetées à cause de leur identité. Pourtant, la foi devrait être un refuge, un espace où chacun peut se reconstruire.» Elle rêve d’un christianisme plus inclusif, où chaque individu pourrait trouver sa place sans crainte du rejet. Ari Lee sait que son parcours ne fait pas d’elle une figure ordinaire dans le paysage pastoral. Son existence est tissée de passages, de métamorphoses, de renaissances. Elle veut s’appuyer sur son vécu pour aider celles et ceux qui peinent à trouver leur voix, leur place, leur foi. Sa vie, elle la relate sur son blog. «J’ai appris à ne plus attendre qu’une institution ou une communauté me reconnaisse pleinement. J’existe en dehors des cases. Et aujourd’hui, je veux offrir cette liberté aux autres.» Bientôt, elle prendra la parole en chaire. Avec la même conviction: accueillir, comprendre et aimer.

Bio express 

1975 Naissance à Gross-Gerau en Allemagne. 
1998 Etude de la biologie agricole à l’Université Hohenheim à Stuttgart. 
1999 et 2005 Naissance de ses enfants, Toru et Josias. 
2010 Bachelor en théologie, Universités de Fribourg et de Genève. 
2024 Master en théologie réformée à l’Université de Berne. 
2025 Tenue d’un blog: arilee.org.

Etre queer 

La communauté LGBTQIA+ regroupe diverses identités sexuelles non binaires, incluant les personnes queer. Les militant·es se sont réapproprié le terme anglais «queer», initialement péjoratif, pour revendiquer leurs droits. Malgré des avancées, affirmer sa queertitude reste difficile. De nombreux clichés persistent, d’où la nécessité d’une éducation accrue pour favoriser la compréhension et l’acceptation des identités de genre. Les regards quotidiens impactent encore la vie des personnes queer