«Les guerres civiles du XVIe siècle racontent l’apparition de la violence sur les lieux de vie»

©Philippe Munda
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©Philippe Munda

«Les guerres civiles du XVIe siècle racontent l’apparition de la violence sur les lieux de vie»

Jérémie Foa
Jérémie Foa, historien à l’Université d’Aix-Marseille, a renouvelé le regard sur la Saint-Barthélemy. Il sera l’invité-phare d’un cycle de conférences organisé cet automne par la paroisse de Pully-Paudex. Entretien.

Votre déclic pour comprendre la Saint-Barthélemy a été la compréhension du génocide des Tutsis?

JÉRÉMIE FOA: Oui. Le livre d’Hélène Dumas (Le Génocide au village, Seuil, 2014) qui explique les massacres de proximité – rendus possibles car les victimes étaient connues de leurs voisins – a été une clé de relecture du massacre de la Saint-Barthélemy, souvent étudié par le haut, avec de «grands coupables», en premier lieu Catherine de Médicis. Ce qui était vrai pour le Rwanda l’était a fortiori pour la France du XVIe siècle, où il n’y avait pas de possibilité pour l’État de savoir qui était protestant ou catholique, les protestants étant pour la plupart nés catholiques et convertis.


Vous lisez cette violence sans préméditation comme une manière d’extérioriser une angoisse religieuse?
L’historien Denis Crouzet a ouvert une compréhension de l’époque par l’angoisse eschatologique. Les chrétiens étant obsédés par la question de leur salut, l’une des façons de se rassurer était de faire le travail de Dieu, de devenir un guerrier de Dieu et s’assurer ainsi qu’on irait bien au paradis. J’ai trouvé cela convaincant et j’ai essayé de compléter cette lecture avec des logiques alternatives: haines entre voisins, rivalités confessionnelles, professionnelles, économiques, divisions dans les familles, entre voisins…

Comment les guerres civiles du XVIe siècle résonnent-elles aujourd’hui?
Je les trouve d’une grande contemporanéité. Elles montrent des individus confrontés à la possibilité de la violence sur leur lieu même de vie. Ces massacres, persécutions se déroulent dans des villes, des tavernes, des salles de concert, sur des places publiques… Cette irruption de violence est amenée par des objets que l’on n’aurait pas pu soupçonner (colis piégés, horloges, etc.) et vient de gens proches et indétectables. Cela crée également une grande angoisse: l’ennemi est invisible, le quotidien est incertain, l’hostilité s’instille partout… J’ai d’ailleurs commencé Survivre au lendemain des tueries du Bataclan.

Mécanismes décryptés 
Comment s’est passée l’extermination de milliers de protestants en plein cœur de Paris en quelques jours à compter du 24 août 1572? En 2021, avec Tous ceux qui tombent: Visages du massacre de la Saint-Barthélemy (La Découverte), Jérémie Foa a livré une ébouriffante enquête historique, mi-polar, mi-roman d’archives. En s’appuyant sur de nombreux documents notariés, l’historien a retracé des morceaux de destins individuels et décrypté les mécanismes de ce moment sanglant. Qui a identifié les protestants et commis les mises à mort? Comment se sont-elles déroulées? Qui a eu la vie sauve et pourquoi? 
Jérémie Foa a mis en lumière le rôle crucial du voisinage et des relations locales dans le déroulement du massacre plutôt que de se centrer sur les souverains de l’époque. Il a donné sens aussi aux tensions accumulées depuis l’apparition de la Réforme. Un contexte bien développé dans la BD Sacrées guerres: De Catherine de Médicis à Henri IV (Pochep, La Découverte, 2020). Enfin, dans Survivre(Seuil, 2024), l’historien surdoué a plongé dans la sociologie des interactions pour décortiquer le climat de guerre civile au XVIe siècle, une angoisse permanente qui renverse les habitudes quotidiennes.


Côté pratique
Cycle de conférences «Les massacres de la Saint-Barthélemy, entre persécution et mémoire» les jeudis, à 20h, à la Maison Pulliérane (rue de la Poste 1 à Pully). 11 sept.: Sarah Scholl; 18 sept.: Olivier Christin; 25 sept.: Michel Grandjean. Le 2 oct., dès 18h30, au Musée cantonal des beaux-arts, visite et conférence de Jérémie Foa. Gratuit mais inscription obligatoire sur www.re.fo/foa