
Carol Rama: la rébellion de l’intime
Née à Turin en 1918, Carol Rama fait figure d’artiste rebelle par excellence. L’art de cette autodidacte échappe aux courants dominants et aux conventions artistiques. Le Kunstmuseum Bern lui consacre une rétrospective audacieuse jusqu’au 13 juillet, un parcours de plus de 70 ans de création, qui met en lumière l’audace et la radicalité de celle qui a profondément perturbé l’art contemporain.
Dès son enfance, Carol Rama est marquée par des événements tragiques. A 12 ans, elle traverse une grave crise et fréquente un hôpital de jour, une expérience qui la marque profondément. Trois ans plus tard, sa mère, à la santé psychique fragile, est internée, et son père se suicide lorsque sa petite usine de bicyclettes fait faillite. «Je peins pour me guérir moi-même», disait-elle. A l’instar de celui de Louise Bourgeois, son travail est d’abord un acte thérapeutique. A travers cette catharsis, elle forge une œuvre unique, où la douleur, la folie et la libération s’entrelacent.
Sexualité, folie et féminisme
A partir de 1936, dans ses premières œuvres, notamment la série Appassionata (1936-1946), Carol Rama explore la sexualité féminine et réalise des dessins de corps tronqués et mutilés. Ses aquarelles, souvent dérangeantes, dévoilent des corps dénudés dans des postures fragiles et souvent exhibitionnistes, suscitant le scandale. Certaines sont même interdites avant leur vernissage à Turin en 1945. Ces images brutes et sans filtre, qui confrontent la société fasciste et catholique de l’époque, marquent un tournant dans l’histoire de l’art italien et posent les bases de l’art féministe.
Les années 1960 marquent un autre tournant dans sa pratique artistique, alors qu’elle se lance dans des expérimentations avec des matériaux non conventionnels. Ses Bricolages, réalisés à partir de poupées, de colle, de métal et d’objets du quotidien, interrogent les rapports entre art et consommation. Dans un contexte de bouleversements sociaux et politiques, l’Italienne dénonce l’aliénation induite par la société de consommation et l’art institutionnel, tout en réintégrant le quotidien dans le champ de l’art.
Les années 1970 voient l’artiste se tourner vers des formes plus épurées et minimalistes, comme dans la série Gomme, où elle utilise des chambres à air découpées. L’œuvre se fait alors réflexion sur le temps, l’espace et la mémoire, mais aussi référence discrète à ses racines industrielles. A travers ces objets, Carol Rama poursuit sa quête de transformation: des matériaux anodins deviennent des métaphores de résilience et de réinvention.
Une reconnaissance tardive
Pendant de nombreuses années, l’œuvre de Carol Rama est ignorée, marginalisée. Ce n’est qu’en 2003, à 85 ans, que celle-ci reçoit le Lion d’or à la Biennale de Venise. En 2015, elle décède en regrettant amèrement: «Si je suis tellement douée, pourquoi ai-je dû mourir de faim aussi longtemps?» Son œuvre, longtemps excentrée, apparaît aujourd’hui comme un pilier incontournable de l’art moderne, notamment pour la compréhension de l’art féministe et de l’émancipation des voix marginalisées. Cette rétrospective nous permet de redécouvrir Carol Rama non seulement en tant qu’artiste aux pratiques inclassables, mais aussi comme une figure essentielle de la rébellion artistique. Son œuvre, sans compromis, bouleverse les normes et continue de faire écho à une quête sans fin de liberté et d’expression.
Côté pratique
Kunstmuseum, Hodlerstrasse 12, Berne.
Exposition «Carol Rama. Rebelle de la modernité» présentée jusqu’au dimanche 13 juillet. Mardi, de 10h à 20h; mercredi à dimanche, de 10h à 17h. www.kunstmuseumbern.ch.