Face aux jeunes migrants, regarder nos défaillances collectives
Moheeb, jeune Afghan en attente de papiers, vit sur un banc dans un parking en Belgique. Il y croise des retraités, des enfants, des néonazis, des adolescents, des bénévoles pour des associations… Son histoire, c’est celle que vivent les mineurs isolés en Belgique, que Clara Lodewick connaît bien.
Moheeb sur le parking (Dupuis, collection «Les Ondes Marcinelle», 2025) interroge les non-dits du personnage, mais aussi de toute une société face à la migration. Comment parler quand toute communication semble impossible? Comment dire les traumatismes lorsque ceux-ci nous bâillonnent? Comment représenter ce qui échappe au regard?
BDFIL consacre une table ronde à ce sujet (lire l’encadré). Entretien avec Clara Lodewick.
Votre récit raconte une défaillance, celle de nos sociétés envers les sans-papiers. Que vouliez-vous dire?
Adolescente, j’ai passé beaucoup de temps avec des groupes de jeunes sans-papiers. On a grandi ensemble, j’ai commencé à aider des collectifs, etc. Une fois engagé, on est pris dans le mouvement. Je connais bien l’attente qu’ils vivent ici. L’adrénaline du voyage est retombée, la fatigue arrive. C’est là que surgissent tous les traumas. Il ne faut pas oublier que ce sont des ados issus de sociétés où la famille est centrale et qui sont livrés à eux-mêmes. En Belgique, régulièrement, certains se suicident…
Quelles émotions la BD peut-elle rendre qu’une émission de radio, un texte ou un film ne pourra pas exprimer?
Je raconte le corps de Moheeb, la manière dont il se déplace. Je l’aborde extérieurement. Tout ce que l’on peut comprendre de lui, on peut le voir. Et puis, il y a des ellipses ou des ralentis, des moments imperceptibles sur lesquels je peux m’attarder: son regard quand il parle et qu’un interlocuteur ne l’écoute pas vraiment. Je peux prendre trois cases pour exprimer son regard, les nuances.
La montée de l’extrême droite a-t-elle un impact sur votre façon de créer?
En Belgique, nous avons un gouvernement de coalition, mais notre Premier ministre est issu d’un parti d’extrême droite. En tant que citoyenne, j’ai honte, mais, surtout, je suis stupéfaite. Il y a quinze ans, on nous disait que cela n’arriverait jamais. Comment mener des combats et défendre des idées quand tout va encore plus mal? J’essaie d’améliorer mon dessin, de le rendre plus professionnel, plus réaliste pour souligner la gravité du sujet. Je veux faire des récits qui racontent notre époque pour que ce qui se passe se sache, car c’est notre responsabilité de citoyen de connaître la réalité. Mais ma BD n’est pas politisée ou militante au premier degré. Je raconte la vie de tous les jours et comment des comportements quotidiens peuvent nuire. Je ne me censure pas, au contraire… Je me dis qu’on ne sait pas jusqu’à quand on pourra faire des choses sur ces sujets.
«Dire l’indicible»
La bande dessinée peut montrer et dire à la fois, taire et montrer, dire et cacher, autant de possibilités qu’explorent les autrices invitées à cette table ronde «Dire l’indicible», Clara Lodewick et Charlotte Melly, qui dessine le récit d’une sortie de l’inceste dans Sortir du ventre du loup (La Ville Brûle, 2025).
Maison de quartier Sous-Gare, Espace rencontres. Dimanche 11 mai, de 10h45 à 12h, www.bdfil.ch.